“When a man throws an empty cigarette package from an automobile
he is liable for a fine of 50 $. When a man throws a billboard across a view,
he is richly rewarded”
Pat Brown, ex-gouverneur de la Californie
Les initiatives pour protéger et mettre en valeur les paysages urbains et ruraux se multiplient aux États-Unis, dans plusieurs pays d’Europe et au Québec. Absente de la place publique québécoise il y a quinze ans, la question du paysage est aujourd’hui un enjeu majeur pour le développement et l’aménagement durables des collectivités. La banalisation du territoire, l’uniformisation des lieux, l’étalement commercial, l’affichage publicitaire, la défiguration d’artères et de voies d’accès aux municipalités, la disparition des particularités locales ou l’absence de respect de ces particularités, la mise en place d’infrastructures majeures sont autant de facteurs qui sensibilisent la population et les décideurs à la question du paysage.
Ces atteintes aux paysages mobilisent de plus en plus de gens. Les efforts de responsabilisation et de sensibilisation deviennent une préoccupation collective et individuelle. La tenue des États généraux du paysage québécois en 1995 a été un catalyseur important non seulement dans la prise de conscience de la place que doit occuper la préoccupation paysagère, mais aussi dans le développement économique du Québec. La démonstration a été faite: la préservation du paysage, le tourisme, l’aménagement du territoire, le développement économique et la qualité de l’environnement vont de pair. L’un ne peut exister sans l’autre.
Où en sommes-nous dix ans plus tard? Les politiques et les lois nous laissent dubitatifs quant à la valeur accordée à la protection des paysages et à l’affichage, tant en milieu urbain que rural.
Cet article se veut un survol de l’affichage extérieur au Québec, plus particulièrement des panneaux publicitaires, en relation avec les paysages. On fera ici référence aux panneaux-réclames installés le long des routes et des autoroutes, lesquelles donnent accès aux paysages. Les acteurs, les élus et les citoyens, intéressés par le paysage qui nous entoure, sont donc conviés au débat.
La belle province!
La rencontre entre l’affichage et le paysage est, en maintes occasions, conflictuelle étant donné la façon avec laquelle les panneaux publicitaires s’imposent dans l’environnement, à la ville comme à la campagne. Ils sont faits pour attirer l’attention. Si certains les acceptent, d’autres les décrient. Contrairement aux autres médias, comme la radio, les journaux et la télévision, que nous sommes libres d’écouter, de lire ou de regarder, les panneaux publicitaires s’imposent au regard ; à moins de fermer les yeux en conduisant, ils sont toujours visibles, il est impossible de les ignorer! Sans compter qu’ils sont situés sur un bien public: nos paysages!
Il faut se promener dans plusieurs villes et villages du Québec – pensons à Laval, à Berthierville et à Tadoussac –, sur divers tronçons des autoroutes 15 et 20,dans des zones commerciales et aux entrées des municipalités, particulièrement à Drummondville sur la 20 en provenance de Québec, pour s’apercevoir à quel point l’environnement visuel est devenu incohérent. Les agressions visuelles sont omniprésentes, sous toutes les formes (enseignes, panneaux publicitaires, murales, remorques, colonnes, abribus et bientôt automobiles, etc.). Les structures d’affichage se multiplient, et le moindre espace disponible devient un prétexte à message publicitaire! Difficile de rater les énormes panneaux publicitaires le long des autoroutes Décarie, Métropolitaine et du pont Champlain; non seulement ont-ils un pouvoir de distraction auprès des automobilistes, mais ils polluent le paysage urbain. Ces panneaux ont pour effet d’uniformiser, de banaliser et de faire disparaître nos paysages, où tout devient semblable, particulièrement en milieu rural. Le contraste est encore plus frappant quand on entre au Québec par l’autoroute 40 en provenance d’Ottawa ou encore par les routes du Vermont, où l’affichage est interdit!
La personnalité et l’authenticité de nos territoires et de nos paysages sont-elles en train de disparaître, notamment en raison de l’affichage publicitaire? Ce dernier est-il en train de tuer nos paysages en plus de remettre en question la qualité de nos décisions en matière d’aménagement du territoire? Avons-nous atteint un seuil de saturation? L’affichage représente-t-il en ville et dans nos campagnes une forme d’accaparement par l’entreprise privée d’un espace public? Sommes-nous en train de vivre une privatisation de nos paysages au profit des trois principaux afficheurs (Astral, Viacom et Pattison) au Québec, sans compter tous les petits qui pullulent ici et là?
, en train de s’embellir grâce à ses efforts en développement durable, alors que, de l’autre, il se laisse barbouiller avec une prolifération de panneaux publicitaires? À quoi sert de prôner les vertus du développement durable sans une véritable prise de conscience de l’aspect visuel qui nous entoure? Pourquoi investir des millions dans des campagnes de promotion nationales et internationales, pour attirer ici les touristes, si on accorde peu d’importance à l’affichage extérieur qui a une incidence directe sur le cadre paysager, lequel se banalise de plus en plus?
Des panneaux qui attirent l’attention
Le lien entre les accidents routiers et la présence de panneaux fait toujours l’objet d’un débat, d’autant plus que les accidents ont de multiples causes. Soulignons malgré tout que plusieurs recherches américaines confirment que les panneaux publicitaires compromettent la sécurité des automobilistes. Le U.S. Fourth Circuit Court of Appeals mentionne « qu’aucune étude empirique n’est nécessaire pour conclure que les panneaux publicitaires constituent des dangers pour la circulation puisque, de par leur nature même, ils ont pour effet de distraire les conducteurs et leurs passagers ».(1) Même l’Outdoor AdvertisingAssociation of America, regroupement d’afficheurs américains, reconnaît que « la grandeur des panneaux et leur illustration plus grande que nature captent l’attention des conducteurs ». La Federal Highway administration concluait dans un rapport qu’il existait une corrélation positive entre la présence de panneaux et le taux d’accident.(2)
Ajoutons qu’aux États-Unis la Cour suprême de Californie a confirmé la constitutionnalité de toute ordonnance éliminant les panneaux publicitaires, compte tenu qu’ils ont un effet sur la sécurité routière. Les États de l’Ohio et de la Caroline du Nord ont utilisé les mêmes arguments pour le retrait de panneaux. Mentionnons aussi, malgré le fait qu’il n’existe pas encore de méthodes appropriées pour évaluer le pouvoir de distraction des panneaux électroniques, que la majorité des États américains ont des normes concernant l’installation et l’éclairage de ceux-ci.(3) Soulignons enfin que les panneaux publicitaires en trois dimensions sont interdits dans six États, dont Washington D.C.(4)
La situation estrienne
L’Estrie occupe une place privilégiée comme destination touristique. Ses campagnes verdoyantes, ses tunnels d’arbres, ses paysages accidentés et pittoresques, ses routes panoramiques ainsi que son héritage biculturel, qui se traduit par sa toponymie et son occupation du territoire en cantons, sont autant d’éléments d’identification qui contribuent à consolider cette position. De plus, la forêt, tant en milieu rural qu’urbain, constitue un élément structurant primordial dans le paysage estrien. Au-delà de son rôle sur le plan environnemental, la forêt agit non seulement comme un levier économique, mais elle contribue aussi à la notoriété de la région, vu la qualité de vie qu’elle procure. On lui attribue un esthétisme rural unique et une qualité visuelle des paysages. Ces attributs ne sont pas étrangers au fait que l’Estrie est devenue l’une des régions touristiques les plus prisées au Québec. Malgré tout, l’affichage dans la région reste préoccupant.
La situation sur certaines artères de la ville de Sherbrooke est comparable à celle d’autres municipalités du Québec. Par contre, on constate que les lieux d’affichage rue King sont saturés, ce qui obligera certainement les afficheurs à lorgner d’autres endroits. Le réseau autoroutier, dont la 10, est sans doute dans la mire.
Dans le document Vision de développement 2005-2015 de la Ville de Sherbrooke, on reconnaît que l’artère commerciale que représentent la rue King et le boulevard Bourque n’est guère représentative d’une esthétique urbaine de qualité. Elle ne contribue pas à l’amélioration du milieu de vie des résidants, pas plus qu’elle ne constitue un élément attractif pour Sherbrooke. On y reconnaît également qu’une réglementation plus rigoureuse sur l’architecture, l’affichage et l’usage des espaces fonctionnels améliorerait la qualité de cet environnement. À cet égard, rappelons que la relance de la principale artère commerciale de Sherbrooke n’est pas tributaire que de l’affichage, qui ne constitue qu’une facette de la problématique. La circulation, l’éclairage, les aires de stationnement, le cadre bâti, les marges de recul, l’absence d’arbres, le mobilier urbain parfois douteux, l’architecture disparate doivent, entre autres éléments, être pris en compte.
C’est là que les municipalités doivent intervenir, puisqu’elles ont à leur portée les outils nécessaires! La Ville de Sherbrooke, comme toute municipalité, a le droit de réglementer l’affichage en vertu de l’article 113, paragraphe 14, de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme. Elle pourrait certes le faire en raison de préoccupations esthétiques, de pollution urbaine ou de distraction des conducteurs. Or, les moyens de le faire doivent être acceptables en regard des diverses chartes. Il ne faudrait pas, sous le couvert de la liberté d’expression, que les entreprises fassent fi des règles les plus élémentaires de l’aménagement du territoire en imposant leur seul intérêt commercial au détriment du cadre de vie et de la sécurité des citoyens.
Quant au réseau autoroutier estrien, on constate depuis plusieurs années une sérieuse dégradation de la situation. Sur la 10, les panneaux ont fait leur apparition à la hauteur de Waterloo et ils sont omniprésents à L’Ange-Gardien ainsi qu’à la sortie 78, à Bromont. L’entreprise Ski Bromont, entre autres afficheurs, remporte la palme quant au nombre de panneaux qui placardent le paysage. L’affichage augmente à vue d’œil en raison du développement commercial intense que connaît Bromont depuis quelques années. Cette situation, si elle n’est pas contrôlée, pourrait avoir des conséquences quant à la banalisation de ce paysage, qui a pourtant attiré tant de citadins et de visiteurs! Saint-Alphonse n’est pas en reste : un panneau gouvernemental indique que nous entrons dans la région touristique des Cantons-de-l’Est, alors que quelques mètres plus loin deux énormes panneaux perpétuent la banalisation! Bienvenue chez nous! Quant à l’autoroute 55, elle est, pour le moment, relativement épargnée.
L’affichage extérieur : c’est rentable
Malgré certaines restrictions réglementaires, les trois principaux afficheurs présents au Québec rivalisent d’ingéniosité pour attirer l’attention. Pourquoi? Parce que c’est très rentable! Parmi tous les médias de masse, l’affichage a connu la plus forte croissance. Cette situation s’explique par le fait que les coûts de production pour ce type de publicité sont inférieurs à ceux de la télé ou de la radio, d’où l’augmentation de la demande. En raison de la grande mobilité de la population, le taux de pénétration est parmi les plus élevés puisque l’affichage extérieur rejoint chaque semaine 95 % de la population adulte du Canada.(5) Ajoutons que la fragmentation des médias électroniques, qui a eu pour effet de segmenter l’auditoire, constitue un attrait supplémentaire à la mise en place des panneaux publicitaires.
Les panneaux publicitaires constituent un marché fort lucratif, qui a connu au Québec une croissance annuelle moyenne de 15,5 % entre 1991 et 2000. Cette industrie, dont les revenus annuels ont atteint 90 millions en 2000, emploie plus de 500 personnes. Au Québec entre 1991 et 2000, le nombre de panneaux publicitaires est passé de 5193 à 8780. Astral possédait au Québec, 2000 panneaux publicitaires en 2003, alors que Viacom, une multinationale américaine, en aurait eu 970. Aux États-Unis, Viacom, Clear Channel Communications et Lemar contrôlent plus de 40 % des revenus générés par les 400 000 panneaux publicitaires présents.(6)
Il n’est donc pas surprenant que plusieurs municipalités québécoises accueillent à bras ouverts les afficheurs, puisque les panneaux publicitaires se traduisent par des entrées de fonds substantielles. Ces revenus sont fonction de la valeur marchande des panneaux qui varie selon le trafic routier, le nombre de passagers, etc. À titre d’exemple, le panneau publicitaire situé sur l’autoroute 10 à la hauteur de Waterloo rapporte annuellement 25 000 $ à cette municipalité.
On peut toutefois s’interroger sur la situation conflictuelle qui fait que, d’une part, les municipalités ont le pouvoir de réglementer l’affichage, alors que, d’autre part, plusieurs d’entre elles profitent des revenus engendrés pas l’affichage. Certaines semblent avoir des législations solides, du moins en apparence. Pensons à Laval et à Anjou, qui interdisent tout affichage à moins de 300 mètres des autoroutes, sauf sur les terrains municipaux… omniprésents le long des voies rapides! Existe-t-il une véritable réflexion au sein des conseils municipaux quant aux enjeux que soulèvent le développement économique et l’image de qualité d’une municipalité? Dans un contexte où le paysage devient un enjeu important dès qu’il est question d’aménagement et de développement économique, les préoccupations d’esthétique peuvent se conjuguer avec les impératifs économiques.
Le droit aux paysages …ailleurs
On peut s’interroger sur les raisons qui font qu’ici les administrations sont très tièdes à l’idée de légiférer, alors qu’ailleurs des démarches sont entreprises depuis longtemps. Pour certains, le Québec semble faire tache d’encre dans l’Est nord-américain.(7)
Mentionnons que des expériences visant à arrêter ou à diminuer la prolifération de l’affichage publicitaire sont en cours depuis au moins 40 ans aux États-Unis. Alors première dame des États-Unis, Bird Johnson a mené pendant 30 ans une croisade pour l’embellissement des autoroutes américaines. Elle a convaincu son mari, le président Lyndon Johnson, d’imposer, par l’entremise du Highway Beautification Act (HBA) de 1965, des restrictions à l’égard des panneaux publicitaires le long des autoroutes. Les panneaux étaient interdits à moins de 220 mètres de chaque côté des autoroutes, mais ils étaient permis sur des territoires zonés commerciaux ou industriels ainsi que sur des territoires non zonés. Étant donné qu’à cette époque les abords des autoroutes étaient rarement zonés, l’affichage proliférait pratiquement partout, selon le bon vouloir des municipalités… Le HBA ne prévoyant pas de hauteur maximale pour les panneaux, les paysages autoroutiers ont été envahis par ces panneaux juchés au bout d’un poteau d’acier visible à plusieurs kilomètres à la ronde.
Seule la loi de la physique – le plus haut panneau atteignant 15 étages! – a pu limiter les afficheurs… Des panneaux de ce type, hauteur en moins, sont d’ailleurs bien en vue un peu partout au Québec, notamment à Bromont et à L’Ange-Gardien.
Dans ce contexte et grâce au lobby intense des afficheurs américains, qui ont pris part aux discussions dans la rédaction du projet de loi menant au HBA, la véritable portée de cette législation s’est atténuée au point de devenir caduque. Malgré cet échec, d’autres initiatives ont pris le relais aux États-Unis.
Le Vermont, qui est à nos portes, est le premier État à avoir introduit la notion de paysage dans un cadre législatif qui proscrit complètement depuis 1968 l’affichage publicitaire le long des routes et des autoroutes. L’argumentation invoquée pour la mise en place de cette législation, entérinée sans débat partisan, a trait à la pollution visuelle engendrée par les panneaux publicitaires.(8) Même les chambres de commerce de l’État ont appuyé à cette époque la législation!
Deux ans plus tard, une loi sur le contrôle de l’utilisation du sol, le Vermont Land Use Regulatory Act, était adoptée pour minimiser l’impact des grands projets sur l’environnement et le paysage. La mise en place de ce cadre législatif, contrairement aux craintes initiales, n’a pas ralenti le développement de l’industrie touristique dans cet État, qui génère plus de 2 milliards par année. En 1997, le Vermont a fait évaluer, par une commission indépendante, l’impact de la réglementation de 1968. L’intérêt et l’efficacité de ces mesures ont été confirmés; au surplus, elles n’ont eu aucun impact économique.
Trois autres États américains interdisent totalement l’affichage, soit Hawaii, le Maine et l’Alaska. Plus de 1000 municipalités et comtés américains ont entrepris des démarches afin de bannir ou de limiter les panneaux publicitaires, ou à tout le moins d’en interdire la construction de nouveaux. Los Angeles envisage de recourir à des mesures visant le contrôle de ce type de média, tandis que Houston, avec l’appui de 79 % de ses citadins, compte les éliminer complètement de l’environnement urbain d’ici 2013.(9) Il faut comprendre qu’avec ses 10 000 panneaux, Houston avait le triste honneur d’être reconnue comme la capitale mondiale des panneaux publicitaires... Sans grande surprise, cette décision est contestée par les afficheurs américains et est actuellement en cour d’appel.
Outre les interventions réalisées chez nos voisins du sud, plusieurs pays protègent leurs paysages en interdisant l’affichage sur l’ensemble de leur territoire, à quelques exceptions près. Cependant, cette approche exige une volonté politique très forte. Au Québec, la réalité est tout autre : l’ensemble du territoire n’est pas protégé contre l’affichage.
Le droit aux paysages …au Québec
Ici, l’affichage publicitaire sur les routes et les autoroutes est sous la juridiction du ministère des Transports du Québec (MTQ), qui applique deux lois, dont la Loi sur la publicité le long des routes. Adoptée en 1989, cette loi touche principalement le milieu rural et s’applique aux municipalités régies par le Code municipal. Elle autorise l’affichage publicitaire à moins de 300 mètres d’une route, sauf à certains endroits désignés par le gouvernement. C’est donc dire que, depuis 1989, seulement quelques secteurs sont soustraits à l’affichage. Net recul par rapport à l’ancienne Loi sur les autoroutes, dont l’un des articles interdisait tout affichage à moins de 305 mètres partout le long des autoroutes. On se retrouve donc aujourd’hui avec une loi qui ne favorise qu’une protection sélective des paysages plutôt qu’une protection globale. Cette erreur doit être réparée d’urgence avant que la situation devienne complètement chaotique! Il est pathétique de voir dans quelle situation se retrouve le Québec, alors que l’affichage le long des routes constitue une préoccupation gouvernementale depuis 1931.
Dans le cadre de la Loi sur la publicité le long des routes, un décret a été adopté en 1991 par le gouvernement du Québec, protégeant ainsi certains tronçons des autoroutes 10, 15 et 20. Par exemple, dans le tronçon de l’autoroute 10, dans les deux directions, aucune affiche publicitaire n’est permise entre les kilomètres 85, dans la municipalité de Shefford, et 121, dans le Canton de Magog. Malgré ce décret, des panneaux-réclames, dont un d’Astral Média, sont apparus à la hauteur de Waterloo, pourtant à l’intérieur du tronçon. Ces publicités ont pour effet immédiat de dégrader la vue qu’ont les automobilistes en provenance de Montréal sur le mont Orford, un repère prédominant en Estrie.
Cet affichage est pourtant légal! En effet, en raison de la désignation de la Ville de Waterloo, l’affiche est régie par une autre loi, la Loi interdisant l’affichage publicitaire le long de certaines voies de circulation; par conséquent, le décret ne s’applique pas. Cette situation fait ressortir le manque de cohésion entre les deux lois gérées par le MTQ, soit la Loi sur la publicité le long des routes et la Loi interdisant l’affichage publicitaire le long de certaines voies de circulation. Ces deux lois, inadéquates et insuffisantes, sont en voie d’être fusionnées, ce qui aura pour effet, espérons-le, d’éliminer certaines incohérences et de diminuer le nombre de panneaux non conformes.
En 2003, le ministère des Transports a recensé 1443 faces publicitaires non conformes à la Loi interdisant l’affichage publicitaire le long de certaines voies de circulation, sans compter les remorques et autres supports publicitaires qui habitent notre paysage!
Manifestement, le lobby des afficheurs au Québec a usé de tout son poids pour contrer les effets limitatifs de ces deux lois. Toute modification législative visant la qualité des paysages aura pour conséquence de braquer ce lobby fort bien organisé, qui a ses entrées dans nombre de municipalités québécoises (la participation de plusieurs élus et fonctionnaires municipaux aux tournois de golf des afficheurs étant légion!). Celles-ci ont d’ailleurs en main des conventions de location de terrains municipaux avec ces grands afficheurs! Par contre, il serait injuste de mettre le blâme exclusivement sur les afficheurs : certains sont prêts à enlever des panneaux ayant un impact sur le paysage. Ils ne le font pas en raison des objections du milieu municipal.
À quand la fin de la récréation?
On le voit, l’affichage constitue l’un des domaines les plus difficiles à gérer en matière d’urbanisme et d’environnement visuel. Il intègre plusieurs notions : la liberté d’expression, l’esthétique, la sécurité routière, la pollution visuelle, etc.
Qu’on le veuille ou non, les panneaux publicitaires sont là pour rester. Ils sont présents dans nos cadres de vie depuis plus d’un siècle et constituent une tendance de fond, accentuée par la cadence de nos déplacements en automobile. La question n’est pas d’interdire tout affichage, mais bien d’agir d’une façon plus ordonnée et intelligente, respectueuse en matière d’aménagement durable et d’impact visuel, particulièrement en milieu rural où la fonction commerciale est à peu près absente. Comme le rappelle Scenic America, principal organisme de protection paysagère aux États-Unis, « la croissance est inévitable, la laideur ne l’est pas! ».
Étant donné la complexité du dossier et le grand nombre d’acteurs concernés (afficheurs, annonceurs, municipalités, ministères, etc.) , l’approche coercitive ne nous apparaît pas appropriée. Cependant, est-il possible d’oser? Est-il envisageable que le Québec devienne, malgré le chaos actuel, un modèle en matière d’intégration des panneaux publicitaires dans un environnement de qualité? Peut-on faire autrement, dans le respect de tous les intervenants? Sans doute, dans la mesure où il y aura une réelle volonté politique, libre de tout débat partisan. Le paysage est essentiel à la qualité de vie; sa protection, sa gestion et son aménagement comportent des droits et des devoirs pour chacun, bref, c’est l’affaire de tous! En sommes-nous toujours conscients?
Voici quelques pistes qui pourront, souhaitons-le, alimenter le débat.
Mettre en place un moratoire sur l’affichage publicitaire le long de toutes les routes et autoroutes du Québec et tenir des audiences publiques, les premières au Québec, sur cette question.
Faire en sorte que la législation en matière de paysage ne se limite pas, comme c’est le cas actuellement, à favoriser une simple protection sélective des paysages plutôt qu’une protection globale.
Établir un meilleur partenariat et une meilleure cohésion entre les ministères québécois concernés par la question paysagère et l’affichage, soit les ministères des Transports, de l’Environnement, du Tourisme et des Affaires municipales.
Inviter ces ministères à faire connaître leur position en matière d’affichage au Québec.
Harmoniser la Loi sur la publicité le long des routes et la Loi interdisant l’affichage publicitaire le long de certaines voies de circulation, dont l’application appartient au ministère des Transports.
Rendre conformes tous les panneaux publicitaires et autres éléments publicitaires illégaux.
Établir une meilleure cohésion en matière de réglementation sur l’affichage entre le ministère des Transports du Québec et la Société des ponts fédéraux à qui revient la gestion et, par conséquent, l’affichage aux abords des ponts Jacques-Cartier, Champlain, Mercier et de l’autoroute Bonaventure.
Lancer une campagne de sensibilisation à l’intention des élus municipaux et de leur personnel technique quant aux impacts économiques générés par un aménagement urbain et paysager de qualité et aux impacts de l’affichage.
Faire connaître les outils disponibles afin de mieux encadrer les municipalités en matière d’affichage.
Poursuivre le développement des connaissances en matière d’affichage extérieur.
Sensibiliser la collectivité, les organismes privés et les autorités publiques à la valeur des paysages.
Jean-Louis Blanchette, Directeur de projet
Paysages estriens, (819) 864-0301 [email protected]
Notes :
1) Majormedia of the Southwest ast. V. City of Raleigh (4 th cir.1986) 1987.
2) Safety & Environmental Design Considerations in the use of Commercial Electronic Variable Message Signing, FHWA/RD80/1, June 1980.
3) Researh Review of Potential Safety Effects of Electronic Billboards on Driver Attention and Distraction, FHWA, September 2001.
4) Electronic Billboards & Highway Safety, CTC & Associates LLC, 2003.
5) Deslonchamps, Frédéric. « La vision d’un gestionnaire de réseau publicitaire », Urbanité, juillet 2005, p. 12. 6) Gudis, Catherine. Buyways, Billboards, Automobile and the American Landscape, Routledge, New-York, 2004.
7) Francoeur, Louis-Gilles. « Le Québec, royaume de l’affichage publicitaire sauvage », Le Devoir, janvier 2005, p. B6.
8) Albers, Jan. Hands on the Land, A History of the Vermont Landscape, MIT Press, Cambridge, 2000, p. 295. 9) Scenic America. Communities and States are Fighting back against Billboards, www.scenic.org.
Références :
ALBERS, Jan. Hands on the Land, A History of the Vermont Landscape , MIT Press, Cambridge, 2000, 351 p.
CTC & ASSOCIATES LLC, Electronic Billboards & Highway Safety, 2003. 8 p.
FRANCOEUR, Louis-G. « Le Québec, royaume de l’affichage publicitaire sauvage », Le Devoir,7 janvier 2005, p. B6.
GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, Loi interdisant l’affichage publicitaire le long de certaines voies de circulation, (L.R.Q., c. A-7.0001), 3 p.
GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, Loi sur la publicité le long des routes, (L.R.Q., c. P-44), 11 p.
GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, Loi sur l‘aménagement et l’urbanisme, (L.R.Q., c. A-19.1). 126 p.
GUDIS, Catherine. Buyways, Billboards, Automobile and the American Landscape, Routledge, New-York,2004, 305 p.
MAJORMEDIA OF THE SOUTHWEST ast. V. CITY OF RALEIGH, (4 th cir.1986), 1987.
PERRON, Jean-Michel. « Trois multinationales et des panneaux publicitaires illégaux-Le paysage est un bien public»,
Le Devoir.com , 24 juillet 2003 (www.ledevoir.com/2003/07/24/32431.html.
SCENIC AMERICA. Communities and States are Fighting back against Billboards, www.scenic.org.
ST-AMOUR, Jean-Pierre, L’affichage sur le territoire municipal et le droit de l’urbanisme, 2003, 22 p. (www.deveau.qc.cq/bulletin_m_19.cfm).
URBANITÉ, Affichage, un peu d’ordre SVP, juillet 2005, 52 p.
U.S. DEPARTMENT OF TRANSPORTATION, FEDERAL HIGHWAY ADMINISTRATION, Researh Review of Potential Safety Effects of Electronic Billboards on Driver Attention and Distraction, 2001.
U.S. DEPARTMENT OF TRANSPORTATION, FEDERAL HIGHWAY ADMINISTRATION, Safety & Environmental Design Considerations in the use of Commercial Electronic Variable Message Signing, 1980.