(Suite de : Les Rébellions, première partie : contexte politique)
Après le premier éclatement des insurrections, plusieurs des leaders du parti Patriote furent arrêtés, d'autres, comme Papineau, s'enfuirent aux États-Unis. Le nouveau gouverneur, Lord Durham, accorda une amnistie, mais la situation ne fut pas enrayée pour autant. Et Durham ne reçut pas non plus l'appui du gouvernement britannique.
AGITATION AU SUD DE LA FRONTIÈRE
Avec de si nombreux Patriotes se rassemblant au sud de la frontière, il est compréhensible que des tensions commencèrent à monter dans les cantons les plus proches des États-Unis. Tout le monde savait que les insurgés les plus déterminés essayaient désespérément de susciter tambour battant le support des Américains du Vermont. On dit aussi que des rebelles accumulaient des fusils en vue d'une éventuelle invasion du Bas-Canada. Pendant ce temps, H. F. Blanchard, rédacteur en chef du Canadian Patriot, continuait à imprimer des propos incendiaires. Oubliez tout ce qui prône l'aristocratie, écrivait-il, et prenez garde au joug des Britanniques et à leurs chaînes exaspérantes.(1) Le journal de M. Blanchard était distribué clandestinement dans les cantons frontaliers.
INVASION?
Au début de 1838, des rumeurs provenaient de partout annonçant une invasion imminente à partir du sud de la frontière. Des troupes de milice furent mobilisées pour contrer la menace. Au soir du 26 février, environ 100 insurgés provenant pour la plupart des cantons de Barnston et Stanstead et menés par l'éditeur du Canadian Patriot se rassemblèrent près de la frontière avec le dessein de brûler le village de Stanstead Plain et de désarmer la milice postée à cette endroit.
Cependant, parce que certains membres du groupe s'opposaient à brûler le village et que d'autres craignaient de se faire arrêter, les hommes se dispersèrent sans avoir rien accompli. La nuit suivante, un raid s'abattit sur Potton à partir de l'autre côté de la frontière, de North Troy au Vermont. Quelque 30 ou 40 hommes ne réussirent à s'emparer que d'un mousquet et, comme leur chef fut tué dans une escarmouche, le groupe se dispersa. B. F. Hubbard écrivit que c'était un événement tragique qui semblait enlever tout courage à l'ensemble du parti.(2)
LA MILICE
À la suite de ces événements et du malaise croissant chez les autorités dans les Cantons, quelque 400 à 500 volontaires de la milice furent appelés à Potton en provenance de Sutton, Brome, Stanstead et Sherbrooke, afin de prévenir tout autre insurrection. Il n'est pas surprenant que devant un nombre aussi écrasant, aucune autre tentative de soulèvement ne se produisit.
SOCIÉTÉS SECRÈTES
Il va sans dire qu'aucune autre insurrection directe ne fut tentée. En fait, les insurgés entrèrent discrètement dans la clandestinité. L'activité prenait maintenant la forme de sociétés secrètes mystérieuses nommées les Hunters' Lodges. Calquées sur le modèle des Frères Chasseurs du Canada français, ces associations se créèrent à Potton, Bolton, Shefford et Sutton. Elles devaient servir à fournir des troupes de choc à l'intérieur de la province, en coalition avec des forces d'invasion en provenance des États-Unis, afin de renverser le pouvoir britannique.(3) Dr Amos Lay, commandeur de l'une des loges locales, demeurait près de la passe stratégique de Bolton. Sa maison se trouve du côté gauche de la route sur la gravure de Bartlett.(4)
Les Hunters' Lodges furent actives dans les Cantons durant les mois qui ont mené au deuxième éclatement des insurrections en novembre 1838. Les membres communiquaient entre eux par signes secrets et mots de passe. Ils prêtaient serment d'assister leurs collègues membres en cas de besoin, même au risque de voir leur propriété détruite et leur gorge tranchée d'une oreille à l'autre.(5)
Tout comme les Frères Chasseurs d'ailleurs dans la province, les Hunters' Lodges des Cantons commencèrent à se préparer en vue d'une insurrection générale et d'une invasion qui aurait lieu en novembre 1838. Cependant, après quelques incidents mineurs et une tentative échouée des Patriotes en vue de se procurer des fusils, l'insurrection fut une fois de plus réprimée. Les Hunters' Lodges des Cantons s'activaient apparemment à essayer de lever les armes; mais ces efforts se sont effondrés lorsque les nouvelles arrivèrent rapportant des défaites ailleurs dans la province. Seulement une autre escarmouche fut rapportée dans les Cantons, cette fois-ci à Barnston où le commandant de la milice, le capitaine Kilborn, fut sérieusement blessé par un tir des rebelles.
LOI MARTIALE
Après le deuxième éclatement des insurrections, les serments secrets et l'appartenance aux Hunters' Lodges furent déclarés illégaux et relevant de la trahison. Le gouverneur Lord Durham, perçu par les Britanniques comme trop libéral, fut remplacé par Sir John Colborne. Colborne agit rapidement et sévèrement afin d'écraser les soulèvements. Des centaines de Patriotes furent arrêtés dans différentes parties de la province et des centaines d'autres partirent en exil. Certains furent jugés puis exécutés. L'habeas corpus fut suspendu, la loi martiale mise en vigueur; la province fut placée sous le loi non d'une assemblée législative élue mais d'un Conseil spécial nommé.
ARRESTATIONS DANS LES CANTONS
Dans les Cantons-de-l'Est, la réaction conservatrice ou loyale fut également impitoyable. Contrairement aux actions entreprises pendant les soulèvements de l'hiver précédent durant lesquels des troupes de milice avaient été mobilisées, les détenteurs de postes officiels dont on mettait en doute la loyauté furent relevés de leurs fonctions; on arrêta ceux à qui on avait demandé de prêter des serments d'allégeance, après les insurrections de novembre 1838; ils furent soupçonnés d'être des sympathisants des Patriotes; ceci visait aussi les membres des Hunters' Lodges; ils furent accusés de sédition et jetés en prison sans procès - certains pendant aussi longtemps que cinq mois. L'une des arrestations les plus spectaculaires dans les Cantons fut celle d'un officier supérieur de la milice de Hatley, le capitaine Taylor Wadleigh, qui fut emprisonné à cause de ses opinions politiques. M. Wadleigh fut ensuite relâché après avoir plaidé que malgré ses opinions politiques, il était encore un ami du Gouvernement britannique sous lequel il vivait par choix et que rien ne lui apporterait une plus grande satisfaction que la déroute totale des rebelles dans cette province.(6) Cependant, d'autres, tel Marcus Child, membre de l'Assemblée législative pour le comté de Stanstead, choisirent de quitter le pays.
À part quelques actes de violence isolés, il ne se produisit plus d'autres épisodes sérieux le long de la frontière. Avec le temps, la vie revint à la normale; les troupes de la milice se dissipèrent; les exilés Patriotes furent finalement autorisés à retourner chez eux. En 1841, dans un revirement de situation ironique qui n'eut pas l'heur de plaire à la faction conservatrice locale, Marcus Child, de retour de son exil aux États-Unis, fut réélu à l'Assemblée restaurée. Voilà la profondeur de la sympathie de la région envers la cause des Patriotes.
Références:
(1) Canadian Patriot, 16 février 1838.
(2) Les deux épisodes sont décrits dans B. F. Hubbard, Forests and Clearings, 1874, pp. 13-14.
(3) Elinor Senior, Redcoats and Patriots, 1985, p. 155.
(4) Harry B. Shufelt, Nicholas Austin the Quaker and the Township of Bolton, 1971, p. 134
(5) Senior, ibid.
(6) Matthew Farfan, Hunters' Lodges in Potton and Bolton, Yesterdays of Brome County, Brome County Historical Society, Vol. 8, 1991, pp. 40-43.