--le 1 mars 2016.
*Tamara Guillemette est étudiante en histoire à l’Université de Sherbrooke. En stage au RPAQ durant l’année 2016, elle produira une série d’articles sur la villégiature dans les villages anglophones du Québec qui sera mise en ligne dans les magazines électroniques du RPAQ. L’article qui suit est le deuxième de la série.
La région de La Malbaie semble quelque peu « un mouton noir » dans le paysage de la région fièrement francophone de Charlevoix. Samuel de Champlain, en 1608, la baptisait la malle baye, autrement dit, la « mauvaise baie ». Il ne fut jamais capable d’y accoster, rendant la région célèbre pour son accueil froid et dépourvu de soleil. En 1845, le curé des Éboulements, Mr Léonce Boivin, la décrivait aussi de la même façon dans ses archives personnelles : « La Malbaie, c’est laid, c’est sombre, c’est brisé. C’est comme la baie Saint-Paul, mais plus brisée... ». Ainsi, les visiteurs de l’apparente triste région comparent trop souvent La Malbaie à Baie-Saint-Paul, pour qui la préservation patrimoniale a toujours été au centre des préoccupations. Bien qu’elle fût très longtemps l’oubliée des historiens et la mal-aimée du patrimoine culturel, elle n’est pourtant pas sans histoire et sans intérêt patrimonial.
La colonisation de la région est relativement épisodique et sporadique. La région de La Malbaie ne fut jamais vraiment propice au développement d’une culture française comme celle que les colons avaient connue auparavant dans la métropole. La première seigneurie fût établie par Jean Bourdon, censeur général de Nouvelle-France; en remerciement pour services rendus à la colonie, la Compagnie des Cents Associés, en collaboration avec le gouverneur Jean de Lauson, lui délègue les terres qui formeront la Seigneurie de La Malbaie. Après un échec lamentable, étant incapable d’attirer des colons pour développer l’agriculture, le roi de France lui retire les droits sur les terres. Il faut attendre 1672 pour que Jean Talon, intendant de Nouvelle-France, offre à nouveau les mêmes terres à Philippe Gaultier de Comporté. Originaire de Poitiers, et bien décidé à s’installer en Nouvelle-France, il s’établit dans la seigneurie sans qu’aucun de ses onze enfants n’y réside avec lui. Il meurt quelques années plus tard dans des circonstances mystérieuses alors qu’il avait vendu les deux tiers de la propriété, manquant d’équipement et de ressources pour administrer ses autres propriétés, plus rentables. François Hazeur et Pierre Soumande, deux prospères commerçants, rachètent les parts de Comporté. Ils sont réellement les premiers à rendre la seigneurie rentable grâce au commerce du bois et à l’exploitation forestière. La Malbaie devient alors le port commercial par excellence en direction de La Rochelle. En 1692, l’ouverture d’autres ports plus près des grands points de commerce force les deux marchands à se replier sur la chasse à la baleine comme principale source de revenus. En date de 1733, l’inventaire du notaire Pinguet de Vancour mentionne que la seigneurie comprend deux fermes, deux moulins, dont un à farine, et une scierie. Force est de constater que l’économie de la région n’a jamais pleinement décollé et que tous les propriétaires, bien qu’ambitieux, n’y ont jamais vraiment trouvé leur compte.
La région s’anglicise lorsque 78e régiment, nommé « Fraser Highlanders », sous les commandes de James Wolfe, se voit nommé à la région de La Malbaie en récompense pour avoir combattu aux côtés des Anglais pendant la guerre de Sept Ans. Le général James Murray confie la Seigneurie de La Malbaie à deux jeunes officiers écossais, John Nairne et Malcom Fraser, formant la première communauté anglo-écossaise. Ils amènent avec eux des soldats démobilisés qui, une fois jumelés avec les paysans français restés sur le territoire, donneront à la région de La Malbaie un caractère absolument unique. Les deux nouveaux seigneurs renomment la Malle Baye la Murray Bay, en l’honneur de leur général et en marque de leur loyauté envers les Stuart.
L’arrivée de la villégiature estivale est favorisée par les splendides paysages qu’offre le Saint-Laurent durant la belle saison. Vers 1830, un premier bateau à vapeur, le Waterloo, de la John Molson’s Saint-Lawrence Steamboat Company transporte des passagers entre les principales villes portuaires, dont Pointe-au-Pic, qui borde la région de La Malbaie. Les premières croisières duraient en moyenne trois jours et coûtaient environ douze dollars; seuls les marchands et riches propriétaires pouvaient se permettre de telles excursions à l’époque. Ils observaient les riches paysages offerts par le fleuve Saint-Laurent mais aussi les peuplades amérindiennes micmaques toujours installées sur les berges du fleuve. Ces dernières profitaient des douceurs de l’été pour venir vendre leurs produits faits main aux différents touristes de Pointe-au-Pic. En plus des touristes en provenance de Québec et de Montréal, les croisières furent rapidement une attraction pour les Américains. Les croisières saguenéennes devenaient de plus en plus populaires vers 1877, alors que des groupes de touristes en partance de New York s’embarquaient sur le très célèbre Union, ou encore le très luxueux Québec de la Compagnie Richelieu. Pourtant, la région de La Malbaie, devenue municipalité depuis 1845, est encore méconnue des touristes, qui lui préfèrent Pointe-au-Pic. En 1880, Arthur Buies, dans ses Chroniques canadiennes, explique qu’on ne réussit pas à observer un étranger à La Malbaie, bien que l’estuaire soit un des sites les plus ravissants qui existe.
On peut en outre observer que les nombreux voyages en bateau à vapeur ont enfin permit un développement économique de la région mal-aimée. Le magasin général de Jos Couturiers offre des produits artisanaux de la très visitée région de Charlevoix, des vêtements de fourrure et de l’équipement de chasse et pêche. La Crèmerie de La Malbaie, principal fournisseur du Manoir Richelieu, offre sa délicieuse crème glacée aux villégiateurs. C’est en effet sur la rue Saint-Étienne, baptisée d’après le nom du patron de la paroisse de La Malbaie, que l’on retrouve les plus beaux bâtiments d’intérêt patrimoniaux. L’ancien bureau de poste (1915) trône fièrement avec des allures inspirées de la tradition anglaise. La forge Riverin, construite vers 1850 était encore en service jusqu’à tout récemment, avant que le petit-fils du fondateur ne prenne sa retraite. Célèbre pour ses sculptures en fer forgé, elle tient toujours debout et accueille les visiteurs affamés d’histoire. Classée bien culturel par le Ministère de la Culture et des Communications du Québec, la forge Cauchon (1882), elle, est encore ouverte. Le Murray Bay Golf (organisme toujours actif) a été inauguré en 1876 pour permettre aux villégiateurs de se détendre. De tous les bâtiments qui marquent le patrimoine culturel et architectural de La Malbaie, c’est très certainement le Manoir Richelieu qui remporte la palme d’or de l’intérêt touristique, bien avant le Casino de Charlevoix. Construit en 1899 et comportant plus de 250 chambres de luxe, le complexe hôtelier se dresse fièrement sur la falaise de Pointe-au-Pic offrant une vue impressionnante sur la région de Charlevoix. Le bâtiment original ayant brûlé en 1928, on confiera à l’architecte canadien John Archibald la reconstruction du manoir qui prendra alors l’allure d’un château français. Le manoir possède un très célèbre parcours de golf de 27 trous de calibre professionnel imaginé par l’architecte britannique Herbert Strong et inauguré par le président américain William H. Taft en 1925.
Tristesse est de constater que dans les dernières années, la région a été la proie des démolisseurs et des grands promoteurs immobiliers. De nombreux bâtiments d’importance, comme le magasin général de Jos Couturier mentionné un peu plus tôt dans cet article, ont été démolis pour créer de l’espace sur la rue Saint-Étienne, principal centre économique et touristique de la municipalité. La Société d’histoire de Charlevoix et les sociétés de conservations patrimoniales font de nombreuses démarches pour inciter les propriétaires à opter pour la mise en valeur au lieu de la démolition. Issue d’un savoureux mélange de la tradition anglaise, écossaise et française, la municipalité de La Malbaie saura-t-elle retrouver sa juste valeur patrimoniale dans la région charlevoisienne?
Sources
GAUTHIER, Serge et Christian HARVEY. « La Malbaie, la mal-aimée? », Continuité, no. 87 (2000-2001), p. 27-29.
DUBÉ, Philippe. Charlevoix; Two Centuries at Murray Bay, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 1990, 271 pages.
FAIRMONT MANOIR RICHELIEU (2016). Manoir Richelieu – Historique de l’hôtel [En ligne], Consulté le 26 février 2016, http://www.fairmont.fr/richelieu-charlevoix/hotel-history/