L'ermite du lac Mégantic

Author:
Bertha Weston Price (traduit du livre Legends of Our Lakes and Rivers, 1937)

Nombreux sont les hommes, et les femmes aussi, qui ont réprimé chagrins et déboires dans le tourbillon quotidien des corvées éreintantes et trépidantes, soit en affaires ou dans la vie sociale, alors que d'autres ont tourné le dos au monde et à tout ce qu'il offre et ont trouvé la tranquillité au milieu des offrandes bienveillantes de la Nature.

On sait bien qu'un homme qui prend une telle décision se rend inévitablement dans un endroit reclus près d'un lac. Là-bas, il trouve la solitude dont son esprit meurtri a soif et du coup une fascination qui tend à le maintenir dans sa décision.

Une lettre écrite froidement, quelques mots brusques, un serment rompu et Hollis Grant** quitta la ville de Québec où il vivait depuis son enfance. Jeune homme au comportement exemplaire, appartenant à une famille hautement considérée, il occupait légitimement une position enviable auprès d'hommes moins chanceux. Et pourtant, il tourna le dos à sa ville natale, à sa maison et à ses amis, à sa carrière pour aller de par les rives isolées du lac Mégantic où plus de cinquante années furent vécues dans la solitude.

Ermite pendant cinquante ans, solitaire, privé du toucher de la main d'une femme ou de la sollicitude affectueuse d'une mère, d'une sœur, d'une épouse, et pourtant, malgré tout, se distinguait sa présence douce et cordiale, son seul défaut venant d'une aversion évidente contre les femmes. Puis, après une vie paisible, brave, aussi splendide et limpide que les eaux du majestueux Mégantic (à droite), Hollis Grant se coucha le long du bateau qu'il adorait, son Lady of the tides (Dame des marées), leva les yeux vers la voûte céleste bleue, ferma les yeux - et une étoile s'éteignit.

Aujourd'hui, le site connu comme le chez-soi de l'ermite montre peu de traces du séjour de cinquante ans, temps pendant lequel cet homme dont on se souvient encore comme grand, mince, aux cheveux gris, de nature discrète - et de toutes les façons un gentilhomme de la Nature -, peina, observa attentivement, communia avec la petite vie autour de lui avant de passer son chemin sur le Dernier Sentier.

Les cabanes, construites en pierres et en bois de grève, ressemblaient aux nids d'un immense oiseau. Dans les souvenirs rapportés par des gens de l'endroit, l'accent est mis sur l'amour qu'il avait toujours porté pour son bateau à côté duquel il était étendu lorsqu'on l'a trouvé dans la froideur de la mort.

Les touristes cherchant des souvenirs, les gens à la recherche d'argent présumément caché dans ou près des cabanes ont fait leur part pour effacer les vestiges du domicile de l'ermite du lac Mégantic. Et les éléments ont dissipé les signes de vie humaine à cet endroit. Pourtant, dans le cœur de plusieurs résidants de Mégantic, il restera pour toujours une souvenance loyale pour quelqu'un qui a vécu sur les rives du lac pendant cinquante ans.

** Note de l'auteur : le nom de l'ermite est fictif. Dans l'histoire du lac Mégantic de monsieur J. P. Jones, de l'endroit, déposée aux Dominion Archives à Ottawa en 1922, on peut trouver une référence mentionnant la vie de cet homme.

Source : Bertha Weston Price, Legends of Our Lakes and Rivers, Lenoxville, 1937, pp. 31-33.