À une certaine époque, les granges rondes étaient dispersées partout dans la partie sud des Cantons-de-l'Est. En fait, au Québec, elles étaient presque entièrement confinées à notre région. Malheureusement, il n'en reste qu'une poignée! Elles datent pour la plupart du début du 20e siècle et constituent un aspect important de notre patrimoine architectural.
La forme circulaire singulière de la grange ronde est fondée sur une superstition bien ancrée. Tout comme les signes en X que plusieurs fermiers peignaient traditionnellement sur les portes de leur grange, les granges rondes sont reliées au folklore populaire qui disait qu'une grange ronde éloignait le diable. Les signes en X étaient destinés à faire fuir le diable qui, s'il entrait dans la grange, pouvait se cacher dans plusieurs coins sombres et causer la discorde, mettre le feu dans le foin et autres méchancetés semblables. Or, une grange ronde ne présentait pas de coins où il pouvait se cacher!
D'autres défenseurs des granges rondes soutenaient que le cercle est la forme parfaite. En architecture, on croyait qu'une forme ronde favorisait la santé, le bonheur et une meilleure motivation au travail. Certaines de ces croyances, particulièrement celle sur le diable qui se cachait dans les coins, peuvent être venues des "Shakers", un groupe religieux qui érigea la première grange ronde en Nouvelle-Angleterre dans les années 1820.
Les granges rondes ainsi qu'une grande partie de notre architecture résidentielle ancienne, les ponts couverts et même les croyances et superstitions populaires ont été importées de Nouvelle-Angleterre. Au Vermont, il existe environ une douzaine de granges rondes encore debout.
Nonobstant le folklore, les raisons de construire des granges rondes dans les Cantons-de-l'Est se révélèrent d'ordre plutôt pratique et étaient reliées à l'économie et à l'efficacité. En effet, la forme circulaire offrait une organisation dans la grange bien plus efficace pour le fermier. Le bétail, gardé au niveau du sol, pouvait être orienté vers le centre, ce qui facilitait l'alimentation et le nettoyage. L'étage supérieur, comme dans les granges rectangulaires, servait pour entreposer le fourrage et les instruments aratoires. D'autres avantages n'étaient pas à négliger. Les fenêtres tout autour du bâtiment assuraient un apport constant de lumière pendant toute la journée. De plus, on disait que la ventilation était meilleure. La forme aérodynamique permettait aussi de minimiser l'impact des vents violents. Enfin, une grange ronde n'était pas plus difficile à construire qu'une grange traditionnelle et demandait moins de bois pour sa structure.
Mais elle comportait de sérieux inconvénients. La forme circulaire nécessitait beaucoup plus de pièces de bois et des pièces plus courtes pour les murs. Des plus importants, il était presque impossible d'agrandir la grange en ajoutant d'autres bâtiments. Finalement, les changements de technologies dans les fermes laitières du 20e siècle (améliorations de la tuyauterie, etc.) précipitèrent la fin de la grange ronde dans les Cantons-de-l'Est.
En effet, l'engouement disparut aussi rapidement qu'il avait commencé. Aujourd'hui, il existe encore neuf granges rondes dans les Cantons-de-l'Est. Toutes sont situées relativement près de la frontière américaine. Leur plus grande concentration se retrouve dans la MRC Coaticook -deux à proximité de Way's Mills, une à Barnston et une construite en 1995 dans le parc de la Gorge de Coaticook. Les autres se trouvent à Mansonville, à Saint-Benoit-du-Lac (grange ronde et silo à foin rond), à Brome-Ouest, une près de Dunham et une autre tout à fait unique, à douze côtés, à Mystic. Plusieurs de ces granges se trouvent dans un très piètre état. Deux autres dans la MRC Coaticook se sont effondrées il y a peu de temps. Si les granges rondes dans les Cantons-de-l'Est veulent éviter l'extinction, elles auront besoin de protection et de restauration immédiates.