La villégiature anglophone au Québec : Cacouna

Author:
Tamara Guillemette*
Image:
Cacouna, carte postale, vers 1905.

--le 23 mars 2016.

*Tamara Guillemette est étudiante en histoire à l’Université de Sherbrooke. En stage au RPAQ durant l’année 2016, elle produira une série d’articles sur la villégiature dans les villages anglophones du Québec qui sera mise en ligne dans les magazines électroniques du RPAQ. L’article qui suit est le troisième de la série.

Bien que la région du Bas-Saint-Laurent soit plutôt reconnue dans les dernières années pour être un lieu de conflit entre exploitants des ressources naturelles et environnementalistes, la petite municipalité de Cacouna est un trésor patrimonial méconnu. C’est en partie ce qui explique la résistance des habitants de la région à la construction de plateformes de forage et à la surexploitation minière. Cacouna a un développement relativement tardif par rapport aux régions avoisinantes. Il faut attendre que le grand voyer de France dessine, à la fin du 18e siècle, le Chemin Royal (1798) pour que la première rue de ce qui deviendra le hameau de Cacouna soit construite. Face à l’île de Gros-Cacouna, le village ne regroupe d’abord que quelques habitations autour de la chapelle, du relais de poste et du moulin à farine.

larger_s-l1600.jpgCacouna, « où il y a toujours des porcs-épics », sert de relais aux marchands des régions avoisinantes dont le commerce est déjà florissant (Kamouraska, Québec, Saint André, etc.). Les goélettes des commerçants ambulants jettaient l’ancre sur la pointe ouest de l’île. Ils sont nombreux à opérer de cette façon : cordonniers, notaires, couturiers s’établissent provisoirement à l’auberge de Fabien Michaud, le temps de troquer leurs produits manufacturiers contre des denrées agricoles. Les agriculteurs, qui ont peine à obtenir des marchandises des grandes villes étant donné la distance à parcourir, vendent leurs surplus de grains, des veaux, des poules, des peaux de mouton ou de la fourrure contre des chaudrons, du café, de la mélasse, de la vaisselle, des bas de coton et des vêtements. Il faut dire que depuis la peste de 1694, les habitants de Cacouna n’ont plus personne avec qui négocier, puisque la principale tribu amérindienne, les Malécites, a été décimée par la maladie.

Les sources ne s’entendent pas sur l’établissement de la première maison de villégiature, mais force est de constater que la famille de Simon et Jean-Roch Talbot, originaire de Saint-Roch-des-Aulnaies, est la première à accueillir en sa demeure des voyageurs en leur offrant une chambre et des repas, mais en commerçant aussi du bois et de la chaux. Dès 1758, la région offre son hospitalité à de nombreuses familles acadiennes qui s’installent sur des terres non concédées.
Les premiers villégiateurs font leur apparition dès 1850, les plages ne les laissant pas indifférents. Ils arrivent par goélettes d’abord, puis par les bateaux à vapeur de la ligne du Saguenay (la ligne de l’eau salée). C’est à partir de ce moment que Cacouna devient une station balnéaire, alliant habilement le commerce et la villégiature. Ces nouveaux touristes sont généralement des marchands qui achètent de grandes maisons et les convertissent en hôtels-commerces de cinq à huit chambres. Ces marchands hôteliers sont les fondateurs du tourisme de Cacouna; Benjamin Dionne, par exemple, gère sa Mansion House ainsi que son magasin général. Le médecin du village ouvre sa propre boutique d’apothicaire tout en louant sa demeure l’été.

En 1863, l’ouverture du Saint George’s Hotel (plus connu sous le nom de St-Lawrence Hall) et la construction des premières villas d’été firent de Cacouna un endroit réputé au sein de l’élite anglo-canadienne. De Montréal et de Québec, plusieurs magnats du commerce et de l’industrie, comme les Molson, les Allan, les Ross et les Thomson adoptent Cacouna comme lieu privilégié de villégiature estivale. Sir Hugh Montagu Allan, célèbre créateur de la Coupe Allan au hockey sur glace, y fait notamment construire son Château Montrose. Le village compte maintenant plus d’une cinquantaine d’habitations, et un bateau à vapeur fait une escale quotidienne sur la plage. Ceux qui ont le pied moins marin peuvent arriver par les lignes ferroviaires du Grand Tronc ou de l’Intercolonial. Des données de recensement montrent qu’en 1870, près de 3000 déferlaient sur les plages de ce Canadian Newport.

larger_s-l1600.2.jpgLe St-Lawrence Hall devient la figure de proue de l’hôtellerie de la région administrative de Rivière-du-Loup alors qu’il peut accueillir plus de 600 visiteurs pendant la saison estivale. Sir James MacPherson Le Moine écrit, en 1870, que l’hôtel nous permet d’avoir une vue impressionnante sur le fleuve Saint-Laurent et sur les différents bateaux à vapeur qui y naviguent. Il note aussi que le complexe comprend des salles de billard et de quilles. Pendant les soirées chaudes d’été, un orchestre joue des chansons instrumentales en continu pour le plaisir des touristes. Comble de bonheur, il écrit aussi à quel point il est pratique pour cet hôtel de posséder un télégraphe; celui-ci permet aux voyageurs de mieux coordonner leurs voyages en train ou en bateau et d’éviter les retards. Les femmes (qui n’ont pas accès aux salles de billard) optent plutôt pour des balades à cheval ou des leçons d’équitation. Bien évidemment, seuls les prospères commerçants et négociants anglo-canadiens et franco-canadiens peuvent se permettre de telles vacances. À l’époque, le coût de la location d’une chambre pour l’été est d’environ 2,50$ par jour.

Pour conclure, les très belles plages de Cacouna accueillent encore aujourd’hui les touristes en les invitant à se promener dans le Village en Miniature qui a reproduit les habitations d’été les plus célèbres pour le plaisir des mordus d’histoire. Certains magasins généraux tiennent encore debout, alors que d’autres ont laissé place à des commerces plus modernes. Il est également possible de visiter la réserve inhabitée des Malécites. Véritable joyau patrimonial, Cacouna demeure pourtant méconnue des vacanciers moins nantis jusqu’aux évènements environnementaux les plus récents. Espérons que Kakoua-Nak saura survivre aux ambitions des grandes compagnies pétrolières et conserver tous ses attraits.

Sources
DIONNE, Lynda et Georges PELLETIER. « Commerce et villégiature à Cacouna », Histoire Québec, vol. 21, no. 1 (2015), p. 18-23.

MUNICIPALITÉ DE CACOUNA (2016). Municipalité de Cacouna – Une riche histoire [En ligne], site consulté le 10 mars 2016, http://cacouna.ca/presentation_generale/?id=cacouna-histoire&a=2010

MACPHERSON LE MOINE, James. The Tourist Notebook for Quebec, Cacouna, Saguenay River and the Lower Saint-Lawrence, Montréal, Gazette Publishing Establishment, 1870, 28 pages.

PHOTOS: https://tolkien2008.wordpress.com/2009/10/27/photographies-les-vacances…