
Sherbrooke, Qc., le 28 octobre, 2025
Att : Madame Line Ouellet, Présidente
Conseil du patrimoine culturel du Québec
Ministère de la Culture et des Communications
Édifice Guy-Frégault, 225, Grande Allée Est, Bloc A, 1er étage
Québec, QC G1R 5G5
OBJET : Pont de la Frontière, Canton de Potton
Le Québec se distingue des autres juridictions par la protection qu’il accorde à son patrimoine bâti. Parmi les outils à notre disposition figurent la citation (municipale) et le classement (national). Cela dit, le Réseau du patrimoine anglophone du Québec (RPAQ) est profondément préoccupé par la récente décision du ministère des Transports du Québec de démolir le pont couvert de la Frontière, situé près de la frontière du Vermont, à Potton.
Le pont de la Frontière (aussi connu sous le nom de Pont Province Hill) a été érigé en 1896 par des artisans locaux au-dessus du pittoresque ruisseau Mud. Construit avec la poutre à treillis « Town simple », ce pont est l’un des rares ponts couverts du XIXe siècle au Québec à avoir survécu. Ses caractéristiques physiques sont également extrêmement importantes. Parmi celles-ci, on compte non seulement sa conception en poutre à treillis, mais aussi ses contreforts et son revêtement semi-ouvert, conçu pour offrir une meilleure lumière aux personnes traversant en charrette ou à cheval.
Ce pont a longtemps été un objet de fierté pour les citoyens locaux et un site touristique populaire. Sauvé de la démolition dans les années 1960, il a finalement été cité par la municipalité, qui l'affiche désormais en bonne place sur ses armoiries. En 2024, le pont a été classé par le ministère de la Culture et des Communications, lui conférant ainsi le plus haut niveau de protection possible.
Le fait qu'un site patrimonial classé soit maintenant visé par la démolition constitue, à notre avis, une atteinte au système québécois de protection du patrimoine et diminue la valeur de toute classification.
Ce pont est important à bien des niveaux. Pour citer le Répertoire du patrimoine culturel du Québec du MCC, ce pont “rappelle l'importance des ponts couverts dans l'histoire de l'occupation du territoire et le développement économique des régions du Québec. Lieux de passage et liens entre deux rives, les ponts couverts donnent accès aux terres de colonisation et permettent la mise en marché des produits agricoles. Ainsi, au Québec, entre le début du XIXe siècle et la première moitié du XXe siècle, environ 1500 ouvrages de ce genre ont été construits. De ce nombre, moins d'une centaine subsistent encore aujourd'hui. Le pont couvert de la Frontière… est l'un des plus anciens.”
En plus, le Répertoire nous explique que ce pont présente “un intérêt patrimonial pour sa valeur technologique. Un pont couvert est un ouvrage de génie se composant principalement de fermes soutenant un tablier et d'une enveloppe protégeant cette structure. La construction des fermes recourt à différentes technologies qui se succèdent aux XIXe et XXe siècles. Le pont couvert de la Frontière présente pour sa part des fermes d'un type ancien, le Town simple, breveté en 1820 par l'architecte américain Ithiel Town. Ces fermes sont constituées de madriers placés en diagonale, formant un large treillis entre des cordes supérieures et inférieures. Les madriers sont joints l'un à l'autre à chaque intersection par des chevilles de bois. Sur les ponts couverts subsistant au Québec, seuls 5 d'entre eux présentent des fermes de type Town simple. Le pont de la Frontière est donc un témoin privilégié d'une avancée technologique importante. Par ailleurs, il compte des composantes technologiques rares, dont des contreforts, de même que des assemblages à cheville unique plutôt qu'à 2 chevilles, comme c'est plutôt la norme. Il présente également des caractéristiques qui tendent à disparaître au XXe siècle, dont le portique à linteau droit et à jambages évasés, le toit aigu et les ouvertures latérales à mi-hauteur…. En raison de sa structure « Town simple » — maintenant très rare — et de ses particularités constructives, le pont de la Frontière acquiert une grande importance pour l'histoire des ouvrages de génie québécois.”
Protégeons le précieux patrimoine qui nous reste. Ce pont mérite d'être restauré, et non démoli, et nous exhortons le Ministère à faire en sorte que son projet de démolition soit suspendu.
Je vous prie de recevoir, madame la présidente, mes plus cordiales salutations.
Matthew Farfan
Directeur exécutif
QAHN / RPAQ